Ce texte est un témoignage de quelques zadistes du Carnet après le procès d’un de leur pote. Il est à partager autant que possible !
Depuis maintenant plus d’un mois, notre ami Pty Loup est en prison. Il a pris 18 mois ferme pour avoir brisé la vitre d’une voiture de la gendarmerie. Plus que l’acte, c’est la personne qui a été jugée, parce qu’elle refuse de correspondre aux critères de bienséance de cette société qu’elle vomit et qu’on vomit aussi d’ailleurs. Avec beaucoup de rage et d’amertume, nous voulons revenir sur son procès et témoigner de la violence répressive qui s’est abattue sur lui et sur celles et ceux qui sont venues le soutenir.
Nous savons depuis longtemps que la Justice et la Police sont les complices d’une même association de malfaiteurs, mais nous sommes quand même choqué.e.s par ce qui s’est passé devant le tribunal de Saint-Nazaire le 12 avril 2021 : procès politique* surveillé et filtré par la police, matraquage, gazage et tabassage gratuit des soutiens.
23 Janvier
Comme toutes les nuits, plusieurs d’entre nous, on se relaie pour faire la vigie à la Guitoune, lieu de vie/barricade d’entrée de la ZAD du Carnet. Pour contextualiser, c’est une période où les keufs viennent souvent, alors on est tou.te.s un peu tendu.e.s. Là, ils sont venus la nuit, en « mission » comme on l’apprendra plus tard par la proc’, pour faire du repérage et prendre quelques photos. Consensus assez global sur zone, on ne laisse pas les keufs approcher trop près et relever les plaques d’immatriculation des voitures des copaines qui ne peuvent pas se garer ailleurs que devant la barricade.
Mais la nuit, quand on n’est pas nombreux.ses, c’est pas si facile de réagir. Tout va un peu vite et notre ami Pty Loup fait fuir les gendarmes en donnant un coup de marteau dans leur voiture, en pétant la vitre au passage. On apprendra plus tard que la personne au volant n’était autre que la commandante de la gendarmerie de Pornic. Les condés ne pourront pas pardonner cet acte de rébellion qui aura remis en cause quelques secondes leur autorité et aura fait fuir une gradée et sa troupe. Et on sait très bien pourquoi. La Police, c’est un système de domination totale qui ne supporte pas être défié, alors même qu’il est tout puissant et que les quelques moments où il semble vaciller sont souvent purement symboliques. En tout cas, une vitre brisée en réaction à une surveillance continue et oppressante, c’est beaucoup trop grave pour eux. Notre ami qui n’avait pas eu le temps de bien se masquer et qui était connu des services de police se fait prendre en photo. Il sera mis sur les fichiers des personnes recherchées.
23-24 Mars
Ça fait deux jours qu’on est au courant qu’on va se faire expulser et on est grave à cran. On avait cherché des solutions depuis plusieurs semaines pour évacuer Pty Loup, mais c’était compliqué, parce qu’il était accompagné de trois chiens. Et puis en vrai il était pas si chaud de partir et de nous laisser. Juste après les expulsions, il a réussi à passer la nuit sur la ZAD sans se faire chopper. C’est le lendemain, alors qu’il avait réussi à quitter la zone, en traversant le bras du Migron, qu’il s’est fait interpelé. Plusieurs d’entre nous, on s’était réfugié à Nantes. La nouvelle nous arrive assez tôt via une soutien : Pty Loup est en train de se faire contrôler par plusieurs fourgons et y a des renforts qui arrivent. On essaye de réagir, d’aller sur place, mais en vrai c’est trop tard.
Pour bien capter les enjeux de son procès qui va suivre, il faut comprendre que c’était sa personne même qui était visée, et non ses actes. Le pouvoir public s’est vanté d’avoir réalisé une expulsion pacifique. Une espèce d’éco-expulsion à l’image de leur projet éco-technologique de merde contre lequel on se mobilisait. Manifestement, il ne fallait pas faire trop de vagues. À part Pty Loup, y a presque pas eu d’interpel’ et les autres gardes-à-vue (GAV) ont été sans suite. Même le pote avec qui il s’est fait attrapé n’a pas été embarqué. Finalement, à cause de son action du 23 janvier, notre pote a pris pour nous tou.te.s. Parce que la Justice cherche toujours à individualiser les peines et les punitions, à trouver les personnes qui méritent le plus d’être sanctionnées. Soit parce qu’ils ou elles sont identifiées comme des têtes pensantes, soit parce qu’ils ou elles sont jugées vraiment trop radical.e.s. Pty Loup a pris pour nous tou.te.s et ça, ça fait mal.
Après une journée en GAV, il passe au tribunal. Il refuse la compa immédiate. Commence alors le réquisitoire de la proc’ qui réclame l’incarcération immédiate en préventive. Et là, il faut dire que c’est difficile de trouver plus représentatif de la justice punitive de classe. Tout y est :
• « Cet individu n’est pas inséré dans la société. »
• « Il n’a pas de logement, mais seulement une adresse où il va chercher son RSA. »
• « Pas de travail non plus. »
• « Il déteste l’État et la Police. »
• « Il a un casier long comme le bras. »
Tout ça justifie, d’après la proc’, la nécessité de l’enfermer. À nouveau, un peu de contexte. On est quelques zadistes dans la salle d’audience, mais y a aussi beaucoup de gendarmes et on les voit sourire puis se foutre de notre gueule pendant le délibéré. C’est vrai que c’est rigolo de voir quelqu’un de « pas inséré » dans la société se faire piétiner, humilier et anéantir par une bourgeoise qui va rentrer chez elle après avoir fini sa journée au boulot, c’est-à-dire après avoir envoyé en zonz’ des gen.te.s qui sont pas des bourgeois.e.s. On se marre bien au tribunal.
Le but, c’est pas de faire dans ce texte une propagande anarchiste, mais quand même, il y a quelques trucs à dire : malgré la pluralité des horizons politiques sur la ZAD, il y avait plusieurs personnes qui n’avaient pas de logement, pas de taf et surtout qui détestaient l’État et la Police. C’était même plutôt revendiqué. Pour certain.e.s par choix, pour d’autres par contrainte, on était plein à pas être inséré.e.s dans la société. Et on a passé du temps, comme sur d’autres lieux d’occupation, à se questionner sur nos rapports à la propriété et au loyer, à l’emploi et au salaire et à essayer d’imaginer d’autres imaginaires. Encore une fois, ça fait mal parce que Pty Loup a pris pour nous tou.te.s et aussi pour nos idéaux.
Après le délibéré, la sanction. Prison préventive jusqu’au procès le 12 avril. Les commentaires de la juge sont pas mieux que ceux de la proc’, même s’ils sont exprimés avec le sourire mielleux de la Justice. « Est-ce que vous fumez vraiment 30 joints par jour ? Vous y voyez encore clair le soir ? ». Nouvelles humiliations, en prétextant de vouloir lui rendre la vie moins difficile en prison. La vie moins difficile en prison ! La bonne blague. Par contre, quand elle demande à Pty Loup s’il pense avoir des problèmes avec les autres détenus au centre pénitentiaire de Nantes et qu’il répond « ça va pas le faire », elle s’en fout complètement, elle lui dit qu’elle a pas compris ce qu’il a dit et elle ne lui donne pas l’occasion de répéter. Merci pour la bienveillance ! Il faut dire que celleux d’entre nous qui étaient déjà dans la salle l’avaient vue juste avant condamner des personnes à du ferme, sans même sourciller, alors que les gens en question éclataient en sanglots en constatant leur vie brisée.
On repart tou.te.s carrément sonné.e.s en se demandant comment on pourrait aider à préparer le procès trois semaines plus tard.
12 Avril
La journée va être longue. La Justice est bien organisée, il y a cinq convocations liées au Carnet le même jour, dont le procès de Pty Loup, à 14h. Avant ça, il y a plusieurs copaines qui passent devant le délégué du proc’ pour d’autres affaires. Du coup, on est plusieurs à se pointer devant le tribunal dès le matin. On le remarque pas tout de suite, même si on s’en doutait, mais il y a des flics en civil qui nous prennent en photo. On se faisait pas trop d’illusions et on savait qu’ils allaient nous faire chier, mais on s’attendait pas à ce qui allait suivre. On s’imaginait quand même que la Police allait faire semblant de ne pas être une milice politique devant un palais de Justice. Parfois, on est naïf.
Le fourgon pénitentiaire arrive. On espère que Pty Loup nous voit derrière les vitres teintées. Nous, on peut pas le voir, alors on crie un peu. On veut rentrer dans la salle d’audience. Normalement, on devrait avoir le droit. Mais bon, on est zadistes et eux, ils ont des excuses bien pratiques avec le COVID. Ils nous ont vu.e.s manger des sandwichs et nous faire des câlins, on n’est pas des personnes assez responsables, clairement ! Pour être sûr qu’on rentre pas, il y a trois flics qui protègent l’entrée du tribunal et qui ne laissent entrer les gen.te.s que s’ils ou elles ont une convocation, ou pas trop une gueule de marginal.e. Et puis, on finit par repérer la banalisée qui nous filme. On n’ose pas trop s’isoler non plus parce qu’un pote a croisé des flics qui lui ont fait un signe amical en passant la main devant le cou, en mode « t’es mort mec ».
L’attente est interminable, et on n’a pas de nouvelles de l’intérieur. Au bout de quelques heures, on a l’info que la délibération est en cours. C’est pas que l’ambiance était cool jusqu’à présent, mais on se met d’un coup à stresser après ce petit rappel à la réalité. La proc’ a demandé deux ans. L’avocat sort enfin, au même moment que le fourgon pénitentiaire. Il a l’air en panique et nous dit qu’on ferait mieux de partir parce que ça risque de chauffer. On imagine le climat qui devait être assez électrique dedans. Il a le temps de nous expliquer en quelques mots ce qu’il s’est passé et il nous annonce la peine. Pty Loup a pris 18 mois ferme. Un an et demi ! Il nous répète que ça va dégénérer et il s’éclipse en s’excusant.
Pendant ce temps, il y a quelques copaines qui ont suivi le fourgon pénitentiaire en criant et en chantant des slogans. C’est là que tout part en vrille. Les keufs en profitent pour prétendre qu’on a attaqué le fourgon, et la BAC déboule avec plein d’autres flics. On n’a pas le temps de capter ce qu’il se passe et on se fait charger. Ils sortent direct les matraques et les gazeuses. Le premier rang se fait tabasser. Une pote est mise à terre et ils la rouent de coup en gazant les autres. Ils continuent de la frapper et ils l’embarquent. On a failli la sortir du truc et empêcher l’interpel’, mais ils ont donné plein de coups et on a lâché. On se disperse trop frustré.es et trop vener.es, parce que là, ça craint.**
Le lendemain, la même proc’ demande six mois ferme pour la pote embarquée. Les charges : outrage et menace de mort. La deuxième est inventée. Finalement, elle prend six mois d’obligation d’insertion dans la société, toujours la même rengaine : avoir un hébergement, chercher un taf et soigner ses addictions. Avec aussi deux ans de mise à l’épreuve. Tout ça pour un outrage. Le message est clair : vous êtes des parasites, votre copain est en prison et vous êtes tou.te.s concerné.e.s et menacé.e.s.
C’est quand même cool de finir sur une note pas trop pessimiste. Pty Loup est vraiment une personne trop chouette. Il a trois chiens dont on essaye de s’occuper et il aime beaucoup en parler. Il a pris trop cher dans la vie à cause de la prison, mais il a toujours en tête, à tout moment, le collectif et les copaines. Il nous a écrit une lettre en nous disant qu’au moins, les gendarmes avaient pas pu relever les plaques d’immatriculation cette nuit du 23 janvier.
Il est d’accord pour qu’on transmette son numéro d’écrou et son identité. C’est le numéro 72420 et il s’appelle Jean Noël Lefèvre, même s’il continue de signer Pty Loup. Si vous voulez lui écrire***, hésitez pas à ajouter une enveloppe timbrée avec une adresse pour qu’il puisse vous répondre.
On a beau être dégouté.e.s, on continue de lutter. Plus que jamais, crève l’État, crève la Prison, crève la Justice et crève la Police. Plus que jamais ils nous méprisent. Plus que jamais on les emmerde et on vise à les détruire.
*On pense que tous les prisonniers et tous les procès sont politiques, mais on veut dire ici que c’est explicitement à cause de ses idées politiques que notre pote a été condamné.
**Voir la vidéo de l’interpellation ici. Cimer aux copaines des invendu.e.s de la ZAD de l’avoir mise en ligne.
*** il est enfermé au centre pénitentiaire de Nantes. l’adresse complète de la maison d’arret c’est centre pénitentiaire de nantes, 2 rue de la mainguais, 44321 nantes