L’appelisme vu comme ensemble de pratiques contre lesquelles il faut s’organiser

L’appelisme fait peur : aux nouveaux, nouvelles qui n’y comprennent rien ainsi qu’aux plus ancien.nes, quelques fois traumatisé.es, qui redoutent des prises de pouvoir. Voir les appelistes non comme des ennemi.es à abattre mais des personnes avec un ensemble de pratiques sur lesquelles nous nous opposons en principe permet de mieux identifier où l’on peut s’améliorer collectivement et comment le faire sans perpétuer des systèmes de domination.

L’appelisme, jargon militant favorisant l’entresoi ou mot fourre-tout utile ?

J’ai longtemps hésité et je continue à hésiter à utiliser le mot d’appelisme tant il a pu être obscur pour moi et peut continuer de l’être. Souvent je trouve qu’il fait partie de ce jargon militant qui favorise l’entresoi et crée un phénomène excluant pour toustes les nouveaux et nouvelles arrivant.es dans la lutte anarchiste.

Pourtant, je dois bien reconnaître que ce mot peut favoriser ma réflexion et mon expression de temps en temps. Comme tout mot fourre-tout, il a ses inconvénients et ses avantages. Rien qu’en existant, il rend visible ce qui pourrait sinon être invisible. Mais j’ai parfois l’impression que chacun.e a une définition différente de l’appelisme et que loin de favoriser la compréhension mutuelle, ce concept peut favoriser les quiproquos.

Par ce texte, je cherche à donner ma définition actuelle de l’appelisme. Cette définition a été variable dans le temps et a changé au rythme des rencontres et des récits et elle continuera de changer. Loin de vouloir être hégémonique, ma définition se veut une invitation à la discussion entre personnes qui ont une autre vision de ce qu’est l’appelisme.


L’appelisme est une insulte qui n’a rien à voir avec l’Appel

Ce n’est pas en lisant un texte de 2005, l’Appel, que l’on comprendra l’utilisation en 2020 du mot appeliste. Je n’ai d’ailleurs jamais lu l’Appel comme beaucoup de personnes qui utilisent le terme appelistes. Depuis, il y un ensemble d’histoires extrêmement complexe entre groupes anarchistes qui a eu lieu. Chacun.e a pu entendre certains bouts de ces histoires via le récit de protagonistes ou la lecture de brochures. Mais selon les versions entendues et les personnes rencontrées, on peut avoir des visions complètement différentes.

Ce texte ne se veut pas l’ambition de résumer ce qui a pu se passer à NDDL entre groupes anarchistes, cela me serait impossible¹. Je cherche plutôt l’essence théorique de l’appelisme c’est-à-dire à identifier des points communs entre ces groupes que l’on qualifie d’appelistes. Dans ma définition, on n’est jamais intrinsèquement appelistes mais on peut avoir des pratiques ou des choix que je qualifierais d’appelistes. Ces pratiques appelistes que je vais essayer de détailler dans la suite seront évidemment caricaturales. Il est peu probable qu’un groupe les cumule toutes ou du moins à des degrés très divers.

Il me semble important de dire à ce moment que je n’ai pas personnellement de passif émotionnellement chargé avec des groupes appelistes et que j’en ai peu cotoyé. Ce que je vais dire n’est au final qu’une construction théorique élaborée avec peu de contacts directs et beaucoup de on-dit. Cela pourra peut-être permettre à d’autres, avec plus de connaissances sur le sujet, de mieux comprendre comment une personne extérieure peut se représenter l’appelisme.

Voici schématiquement quelques pratiques que je qualifierais d’appelistes sur lequelles je reviendrai dans la suite :

  • penser plutôt en termes d’objectifs et d’efficacité sans réfléchir à ce que l’on peut sacrifier politiquement sur le chemin,
  • s’organiser uniquement avec des personnes avec qui l’on a des affinités,
  • ne pas faire suffisamment tourner les mandats ni prendre le temps long de partager nos savoirs-faire et compétences,
  • penser les questions d’oppressions systémiques quasi-exclusivement comme lutte globale à mener à l’extérieur et non également comme transformation des rapports personnels au sein d’un groupe affinitaire,
  • manipuler des réunions grâce à son aisance à l’oral,
  • romantiser la lutte et l’insurrection afin de faire rêver.

Derrière la notion d’appelisme, la volonté d’efficacité

Selon moi, la racine théorique de l’appelisme, c’est la volonté d’être efficace² d’un point de vue révolutionnaire. De ce point de départ peuvent découler beaucoup de choses de manière naturelles. Si l’on ne rencontre pas les bonnes personnes et si l’on ne fait pas attention à éviter les prises de pouvoir, cette volonté d’efficacité peut vite nous faire glisser sur une pente extrêmement dangereuse.

L’efficacité et la rapidité sont des notions construites socialement dans une société capitaliste et il est important de les remettre en question aussi. Accepter la lenteur pour faire les choses bien plutôt que de tomber dans le piège de l’efficacité à court terme devrait aussi faire partie des pratiques militantes.

Une organisation soudée en groupes affinitaires

On s’en rend compte facilement : on travaille beaucoup plus facilement et efficacement entre personnes qu’on connaît bien et avec qui on a l’habitude de travailler. Les groupes appelistes sont souvent très bien organisés au sein de groupes affinitaires soudés.

Le danger arrive quand on ne prend pas le temps, certes long, de discuter et de demander des retours à d’autres groupes ou personnes plus isolées et moins organisées. Au bout d’un moment, sans communications, l’incompréhension grandit et on se met à considérer les autres groupes comme des obstacles plutôt que des allié.es. La diversité des tactiques en prend un coup car souvent les groupes affinitaires se créent par unicité de tactique au sein d’un même groupe.

Organisation hiérarchique sans mandats tournants

Chacun.e arrive avec des capacités variées au sein d’un groupe. Faire tourner les mandats en dehors de ces affinités de capacités (par exemple celleux qui écrivent bien, qui dirigent bien un chantier, etc.), cela peut prendre du temps et ralentir le groupe le temps que les gens se forment et apprennent.

Pourtant, cette efficacité à court terme est problématique car loin de la société anarchiste que l’on souhaite construire. Dans cette future société, on cherche à éviter au maximum les phénomènes de spécialisations et d’expertises mais on souhaite plutôt partager les savoirs et les connaissances afin d’avoir un mode de fonctionnement le plus horizontal possible.

Peu de remise en cause des oppressions systémiques qui ont lieu en interne

Remettre en cause les oppressions systémiques qui ont lieu au sein même du groupe affinitaire peut foutre un sacré bordel et ralentir considérablement l’efficacité révolutionnaire à l’extérieur.

Ne pas prendre le temps de déconstruction des rapports de domination au sein d’un collectif, c’est laisser ces dominations systémiques se perpétuer.

Techniques appelistes en réunion et prises de pouvoir

On ne peut pas parler appelisme sans parler de prises de pouvoir. C’est la principale chose que beaucoup reprochent aux appelistes. Les réunions ou AG sont des lieux d’oppressions systémiques et sont aisément manipulables par les classes sociales qui sont à l’aise avec la prise de parole. Ne pas faire attention à cette réalité est déjà une oppression mais quelques techniques de manipulation actives sont encore plus graves.

Les techniques de manipulation en réunion que j’appelle appelistes sont les suivantes :

  • arriver à une réunion en ayant déjà pré-organisé une réunion à ce sujet en groupe affinitaire. Les appelistes arrivent alors en ayant les idées claires, une réflexion déjà construite et même quelques fois un texte déjà prêt. Celleux qui n’ont pas participé à la réunion préliminaire arrivent en position de faiblesse et la prise de pouvoir est évidente.
  • prendre la parole plusieurs fois pour énoncer la même idée quand on sent qu’on n’a pas été écouté. Cette manipulation est encore plus grave si cela est fait par plusieurs personnes d’un même groupe affinitaire voire si cela a été pensé à l’avance.
  • utiliser ses capacités d’énonciation pour discréditer d’autres groupes qui s’expriment moins bien.

Homogénéité sociale et maîtrise de la communication

On remarque souvent que les groupes appelistes maîtrisent bien l’écriture et la prise de parole en public. Même si cela est loin d’être systématique, il peut y avoir une certaine homogénéité d’origine sociale au sein des groupes appelistes et cela peut être expliqué par leur origine en tant que groupes affinitaires (on a souvent des affinités avec les personnes qui nous ressemblent et ont eu des parcours similaires).

Certains livres comme ceux du comité invisible donnent une vision romancée et lyrique de la lutte et de l’insurrection. La lutte ce n’est pas toujours joyeux et romantique et le cacher peut aboutir à des désillusions et être considéré comme de la manipulation.

Comment les groupes appelistes arrivent-ils à prendre le pouvoir ?

Le mouvement anarchiste manque souvent d’organisation collective et fait face à des réflexes individualistes. Quand un groupe soudé, efficace qui arrive en réunion avec une réflexion construite et qui communique efficacement à l’extérieur fait face à un mouvement désorganisé et peu préparé, la prise de pouvoir est inévitable.

Face à l’appelisme, organisons nous !

Chacun.e peut agir à un moment de manière appeliste (en ne faisant pas attention à telle prise de pouvoir par exemple). L’important n’est pas de désigner des ennemi.es, les appelistes, mais de réfléchir collectivement aux manières de faire les choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord et de les repérer.

Pour éviter des prises de pouvoir par des groupes se posant moins de questions sur leurs pratiques, apprenons à nous organiser différement et développons des outils d’organisations anarchistes afin de lutter à armes égales.

¹ De nombreux textes ont été écrit sur ce sujet comme par exemple Réflexions à propos de la ZAD : une autre histoire disponible sur Infokiosques.net.

² Le terme d’efficience serait légèrement plus correcte que efficacité dans ce contexte. L’efficicence, c’est l’optimisation du temps et de l’énergie déployée pour atteindre ses objectifs. On a choisi d’utiliser le terme d’efficacité pour des facilités de compréhension.

Illustration : Image extraite de la brochure Tourner autour, une critique de l’Insurrection qui vient disponible sur Infokiosques.net

4 réflexions sur « L’appelisme vu comme ensemble de pratiques contre lesquelles il faut s’organiser »

  1. Très bonne analyse en me permettant d’ajouter/préciser que le problème ne réside pas dans le « qui » mais dans le « quoi » et « comment ».

    D’autant plus qu’en se focalisant sur ces pratiques douteuses voir nauséabondes plutôt que sur les « praticien.ne.s » (les « appelos »), c’est que ça permet de beaucoup mieux de détecter ce phénomène n’importe « où », n’importe « quand »… et chez n’importe « qui ».

    Pour avoir franchit la surface de cette « chose » sans m’en rendre compte sur le moment (et en prenant soin de bien fermer ma bouche quand je m’en suis rendu compte afin d’observer/comprendre de quoi il retournait), je confirme tout ce qui est écrit ci-dessus. En ajoutant que ça peut devenir extrêmement toxique psychologiquement, que ce soit à titre individuel ou collectif.

    De mon point de vue, ce « mouvement » (de par ses pratiques) est une véritable gangrène car non-égalitaire, pas franchement libertaire et finalement pas vraiment solidaire… le tout sous couvert « d’entre-soi » et de « non-dits » qui va jusqu’à bloquer le partage/transmission de savoirs/expériences essentiels et qui devrait faire partie des fondations de tout mouvement.

    Un grand merci pour cette mise en forme textuelle de cette pensée que nous sommes si nombreu.x/es à partager.

    NB : Très sincèrement, en analysant ce mouvement à travers ses méthodes et conséquences sur les autres, le mouvement, c’est ce que l’on retrouve dans la description de ce que la psychiatrie (que je ne cautionne pas) nomme « perversion narcissique ».

  2. N’ayant pas prêter attention à l’illustration, je n’avais pas remarqué qu’elle illustre très bien le Nota Bene de mon commentaire précédent.

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