Lorsque je suis revenu.e sur les ruines du village le lendemain de sa démolition, j’ai eu du mal à reconnaitre les lieux qui m’avaient servi de refuge ces trois dernières semaines. Du four à pain, vestige de la modeste paysannerie qui habitait là il y a encore peu, il ne restait que quelques briques intactes. La magnifique grange où tant de rencontres se sont tissées était devenue un immense tas de pierres. Idem pour la maison qui abritait nos douces soirées au coin du feu. Une quantité tellement impressionnante de pierres que j’avais du mal à réaliser comment un tel édifice avait été bâti à la main, en 1720. Ensevelie la montagne de vêtements dont la distribution animait le village tous les mercredis. Ensevelis tous les ustensiles de cuisines patiemment accumulés pour permettre les week-ends porte-ouverte qui s’y étaient tenus. Seuls des souvenirs ressurgissent de ce triste tas de gravats. Alors, une colère monte en moi. Une colère calme, froide, puissante, effrayante. Le genre de colère qui fait que tu sais que ta vie ne sera plus jamais comme avant.
C’est devant ces ruines qui s’étendent à perte de vue sous mes pieds que je prends conscience de la violence implacable du système. Je me dis, ils sont prêts à tout pour museler toute insurrection à venir, quitte à raser des bâtiments historiques, quitte à expulser des dizaines de personnes précaires ; ce sont des détails qui ne les affectent pas. Je me pensais écologiste et je croyais cette cause fédératrice au-delà des clivages sociaux habituels. Je me rends compte qu’ils sont prêts à tout pour garder le contrôle, et surtout, ne pas nous laisser expérimenter autre chose. La violence qui les anime est immense, mais souvent invisible. Elle se matérialise aujourd’hui sous mes yeux qui se referment, tristes.