Certains n’y voient qu’une preuve de la décadence, la paresse et l’encrassement généralisé que représente la ZAD dans leur esprit. Le lien étant vite établi entre l’espèce du zadiste de base et la caste des chômeurs pouilleux, c’est tout naturellement que surgit le mot « schlag », qui désigne habituellement une loque humaine – à savoir un individu louche, sale, pauvre et mal famé. Mais la schlaguerie est bien plus grandiose ! C’est une véritable tendance, qui se cultive …
« Ah, tu te zadifies ! » ; combien de fois par jour entend t-on cette expression bénie marquant le fameux rite de passage à l’état zadiste de la chose ? C’est à dire le moment où la couleur des chaussures s’uniformise à celle de la gadoue, où l’on accepte enfin que la vaisselle ne sera jamais faite et qu’on devient expert dans la maîtrise du freinage de vélo sans frein. On adopte la schlag attitude. On renonce au monde de l’ordre, de la propreté et du rangement, illusion d’une société nette et harmonieuse.
On choisit l’esthétique du sauvage, de la pagaille ; peu à peu les espaces se transforment, l’air lui-même se zadifie. Par le refus d’un ordre préconçu de l’univers où chaque chose a une place et un rôle bien défini, on réinvente le quotidien. La discipline exercée ordinairement sur les objets pour qu’ils correspondent à nos attentes se change en un acharnement collectif pour les faire parler. Par une multitude d’initiatives créatives individuelles, tout se dérègle, les idées saugrenues s’additionnent, dialoguent en différé : l’autogestion devient une pratique artistique. Ce qui est cassé n’est pas réparable car ce qui répare est cassé aussi, et puis on manque de matos et on ne manque pas de flemme, alors on bricole avec ce qu’on a sous la main sans se préoccuper du résultat. Rien ne convient, ça se recassera la figure, mais tant que ça tient, ça tient ! Peut-être que c’est aussi l’effet que ça fait de construire en sachant que tout sera bien plus vite détruit.
Le concept de la schlaguerie, c’est crier « tant pis » pour se mettre à chérir l’imperfection et cultiver l’étrange. C’est aimer être hilare devant une chaise, une peluche ou un parapluie. C’est se dire qu’il n’y a ni urgence, ni sérieux, ni souci.
Et si le schlag, c’était laisser un peu de place à la vie ?